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Diffusion et                      Divisions
            

 

            Aujourd'hui les oreilles de nombreux fans de Techno sont devenues allergiques à la House Music. Certaines oreilles opposent même la "tekno" européenne underground à la Techno, considérée comme trop mainstream, trop commerciale, trop proche de la House, trop douce. Bref, comme disent certain.e.s, de la musique de pédés.

Essayons de comprendre. Vous vous dites peut-être que y'a rien à comprendre, chacun ses goûts, certaines personnes sont tout simplement plus attirées par des styles de musique plus durs, plus froids, plus sombres, plus violents. C'est évident. Tout comme il devrait être évident que les gays et les queers peuvent aussi préférer des styles de musique plus durs.

Cette distinction homophobe persistante, près de 50 ans après la vague Disco, en dit long sur la société dans laquelle nous vivons, héritière des mouvements d'émancipation mais aussi de plusieurs siècles de traditions ségrégationnistes.

 

 

 

 

 

 

 


Si on s'intéresse un peu à la scène club de Chicago des années 80, où la House est apparue, et à la personnalité de Frankie Knuckles, considéré à tort ou à raison comme le parrain de ce courant musical, on peut s'apercevoir que, dès l'origine, l'homophobie à joué un rôle non négligeable dans cette histoire.

Frankie Knuckles est d'abord un ambassadeur de la scène Disco underground New-Yorkaise. Il vient de ce milieu, il a traine ses guetres avec Larry Levan dans les "maisons" des Drag Queens noires de New York, puis dans les clubs gay ou est ne le Disco. Il cherche à transmettre cette énergie à Chicago. Au club Warehouse, le public est d'abord majoritairement gay. La musique de Knuckles est clairement Disco, influencée par ce qu'il a vu au Gallery, le club de Nicky Siano a New York, lui-même mentor de Larry Levan au Paradise Garage. Une ambiance gay communautaire, ouverte aux hétéros respectueux.

A Chicago les ségrégations raciale et sexuelle sont plus fortes. L'histoire des clubs est plus jeune, et la communauté gay est plus fragile qu'a New York. Knuckles voit d'un mauvais oeil l'arrivée des hétéros au Warehouse. Ils finissent par prendre trop de place à son goût, et il ferme le club. La House music n'existe pas encore.    

 

 

 

 

 

 

 



 

 

Ron Hardy prend le relais au Music Box. Ami de Knuckles et lui-même issu de la communauté gay, ils ont les mêmes références musicales. Mais Hardy et les patrons du Music Box voient le vent tourner et s'ouvrent en particulier à une nouvelle génération de producteurs de musique. Ils sont inluences par la Hi-Energy, la New Wave, et l'Italo Disco. 

 

Hardy a un style plus experimental que Knuckles, il integre davantage ces genres, et il mixe les disques entre eux. L'energie qu'il diffuse sur la piste du Music Box inspire ces jeunes mecs noirs issus de la classe moyenne, qui lui apportent leurs productions. Une Disco low-cost "faite à la maison". Ils n'ont pas les moyens d'enregistrer en studio avec des instrumentistes acoustiques, mais ils peuvent se payer les boites à rythme Roland, les samplers Ensoniq, et ca tombe bien : ce sont leurs sonorites qu'ils reconnaissent dans la musique electronique europeene, qui les inspirent, et qui se melangent facilement avec leurs experimentations.  Ils veulent rompre avec le Disco traditionnel, deja un peu ringuard a leur yeux, et trop associe a la communaute gay. Ils sont plutôt hétéros... et souvent ouvertement homophobes (comme la plupart des heteros a cette epoque).

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 

Knuckles a ouvert un autre club, où son public gay, plus agé, l'a suivi. Il s'intéresse à cette nouvelle vague musicale et finira par produire lui-aussi quelques morceaux fondateurs de ce nouveau genre. Il en passe quelques uns pendant ses mixs, mais moins que Ron Hardy, qui prend sous son aile cette nouvelle génération. Knuckles garde ses distances, il ne se sent pas du tout faire partie du même monde. Le Music Box, rapidement, ne ressemble plus aux "safe places" gays qu'étaient les clubs Disco underground de New York. Une nouvelle culture est née, et elle cherche à s'éloigner de ses racines.
 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

La "House Music" on lui donne ce nom, en référence au club Warehouse de Knuckles, pas parce qu'elle y serait née, mais plutôt parce que ça fait vendre. C'est déjà une forme d'appropriation culturelle. Le gérant du label Trax Records s'en met plein les poches en faisant signer quantité de contrats bidons.

A Detroit on fait aussi de la House music, qui cherche encore davantage à se détacher du Disco et de la Soul. Bien que les producteurs de Detroit soient issus de la communauté noire américaine et qu'ils cherchent d'abord à conquérir le public des clubs de Chicago, ils semblent plus ambitieux. Ils créent une esthétique moins noire, plus radicale, certains diront peut-être aussi plus intellectuelle. Moins sexuelle. Les "jackin'" tracks de la House naissante sont des morceaux portés sur le cul, souvent assez vulgaires, si on les compare par exemple aux hymnes sexuelles de la Hi-Energy de San Francisco. A Detroit les voix ont tendance à disparaitre, et les samples de Disco aussi. On compose de A à Z la bande son du futur à base de boites à rythmes, samplers et synthétiseurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

A Chicago comme à Detroit, plusieurs précurseurs de la House affirment avoir cherché à se distinguer de la culture musicale gay. Mais malgré tout, en arrivant en Angleterre, c'est auprès du public gay et queer que la House trouve ses premiers amateurs, et chez les hétéros les réactions de rejet homophobes sont nombreuses. La House est déjà considérée comme une musique de pédés, même si les producteurs de Chicago essayent de prouver le contraire. Ils jouent aux durs, aux plus Hardcore, mais sont a la fois trop avant-gardistes, et trop inluences par le Disco . Raté les mecs, vous êtes des gros pédés !

 

Le public hétéro des clubs anglais, nourri à la Northern Soul, au Jazz Funk et au Rare Groove, met du temps à apprivoiser la vague House. La culture Disco underground americaine n'a pas eu le meme impact ici. Ce sont logiquement d'abord des noir.e.s qui s'y mettent en premier. Peu a peu, des clubs comme The Shoom a Londres et The Hacienda a Manchester, au public mixte, participent a la popularisation de la Dance Music electronique au dela de son public communautaire originel.

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

C'est à Chicago, au Music Box, qu'on a dansé pour la première fois sur les sonorités typiquement futuristes de l'Acid House, issues du Transistor Bass 303 de Roland, qui vont se diffuser largement dans tous les styles de dance music électronique. Mais c'est en Angleterre que ce style explose littéralement, talonné par la House de Detroit, rebaptisée "Techno" à l'occasion de la sortie d'une compilation éditée par Virgin Music.  

Ces nouveaux styles musicaux vont très vite être adoptés et reproduits par des artistes européens, en Angleterre, en Allemagne, en Belgique. Une multitude de sous-genres émergent en quelques années, à partir de 1988.

 

L' Acid House et la Techno partagent une distance plus marquée avec le Disco et le Funk que les morceaux précurseurs de House ou d'Electro, qui facilite sans doute leur appropriation par des artistes europeens. Elles deviennent la bande son des Rave Party, phenomene social massif qui fait l'effet d'une veritable revolution culturelle. Le public des Raves est jeune, majoritairement blanc et hetero, a l'image des groupes dominants de societe occidentale. S'il revendique une dimension contre-culturelle, "underground" et communautaire, qui persiste encore aujourd'hui dans la culture des Free Party, il perd aussi peu a peu la memoire.

 



 

 

 

 

 

 

 

 

Tout comme la commercialisation de la musique noire auprès d'un large public majoritairement blanc a eu tendance à la couper de ses racines, la commercialisation de la musique gay auprès d'un large public majoritairement hétéro abouti à un résultat similaire. On assiste à la fois à une certaine prise de conscience des populations dominantes, qui se montrent un peu plus tolérantes, voire alliées et soutiens des luttes des communautés dominées, et en même temps à des dynamiques réactionnaires au sein de ces mêmes populations dominantes, alimentées par la peur.
 

Ecouter de l'Acid House ou de la Techno ne rend pas necessairement plus sensible aux violences subies par les communautes noires et queers. En Europe, la culture hétéro viriliste a sans doute contribué à la radicalisation de certains sous-genres de Techno. Certain.e.s artistes de Gabber, de Harcore ou de Hardstyle se sont distingués par des messages clairement sexistes, homophobes, racistes, parfois même néo-nazis. Ca ne concerne qu'une minorité d'artistes heureusement.
 

Les raves et les free party européennes, à l'origines porteuses de messages émancipateurs, se sont ensuite focalisées longtemps sur la lutte contre les politiques étatiques répressives, oubliant parfois qu'elles étaient une évolution de pratiques festives émancipatrices pour d'autres communautés discriminées. Le public gay et queer a déserté ces fêtes pendant quelques années, avant d'y revenir prudamment. La lutte contre l'intolérance et pour davantage de mixité sociale au sein de ces fêtes reste un combat a poursuivre, avec des annees de  retard sur les clubs allemands. Je crois que ca doit passer, entre autre, par la reconnaissance de cet heritage culturel.

La musique populaire cherche parfois à rassembler, mais trop souvent aussi elle accompagne insidieusement les ségrégations sociales. Parce que parfois les logiques communautaires sont le seul moyen de retrouver des espaces d'émancipation. Mais aussi parce que le repli sur soi, l'intolérance, et l'aveuglement face à ses propres privilèges sont des tendances profondémment ancrées dans les groupes dominants.

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

Je suis un mec blanc, hétéro, issu de la classe moyenne, trop jeune pour avoir vecu la plupart des choses que je raconte ici. J'herite de cette histoire. Je fais de la musique d'hétéros qui se sont approprié une culture gay. De la musique de blancs qui se sont enrichis sur le dos des noirs. De la musique de mecs qui se croient plus doués que les meufs et qui les maltraitent. De la musique de trans qui ont, bizarrement, complètement disparu des radars... Mais aussi de la musique de blancs cisgenre heteros, souvent touches par la musique noire americaine, mais pas toujours. 

 

Cette histoire est inevitablement incomplete, parce qu'elle touche beaucoup de gens avec des parcours tres differents. Nombreu.ses sont celles qui ont apporte leur pierre a l'edifice incroyable de ces musiques a la fois populaires et underground, douces et enervees, engagees et amusantes... Les chemins de la Dance Music se sont multiplies en de nombreuses ramifications, et leurs  histoires continuent de s'ecrire.

Les communautes opprimees qui les ont enrichi de leurs cultures, de leurs combats et de leurs reves retrouvent un peu plus de visibilite aujourd'hui, mais se heurtent encore a des obstacles reactionnaires. J'espere, en participant a transmettre cette histoire par ces mots ou par la musique, qu'un esprit emancipateur, anti-autoritaire et contre-culturel continue d'habiter certains dancefloors.

Frankie Knuckles
& Adeva

Ron Hardy

Jamie
Principle

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Chip E

Marshal Jefferson

Farley Mixmaster Funk

Jesse Saunders

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Jeunes ravers anglais dans les annees 90

Des queens
prennent la pose
devant The Hacienda
a Manchester

Le collectif Underground Resistance, la seconde generation des producteurs de Techno a Detroit, portera un message plus engage politiquement que ses predecesseurs.

Pour creuser un peu..

* Pump the volume, un documentaire sur l'histoire de la House Music.

* une interview de Frankie Knuckles.

* une interview de Chip E.

* une interview de Jesse Saunders.

Interviews menées par Bill Brewster et Frank Broughton.

* un article sur les liens entre les scenes de Chicago et de Detroit, par Jacob Arnold.

* un autre article de Jacob Arnold sur Ron Hardy au Music Box.

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