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Une histoire
          de dancefloors

 

                                         On n'a pas tou.te.s la même version de l'histoire. On la fait pas débuter au même moment, ni au même endroit. On voit que de petits morceaux de l'histoire des autres, filtrés par le prisme de notre point-de-vue, de nos expériences, de nos sensibilités.

            Celle que je veux raconter pourrait commencer le soir du 14 février 1970 à New York dans l'appartement de David Mancuso, transformé en club privé. C'est confidentiel. Moins d'un an après les émeutes de Stonewall, gays, hétéros, blancs, noirs, et latinos se retrouvent dans un "safe space" privilégié, dédié à une expérience musicale unique. C'est peut-être la première fois qu'autant de soin est apporté à l'ambiance d'un "dancing". Pas de miroirs, pas d'horloges. On sert du jus d'oranges pressées, et l'endroit est rempli de ballons colorés. La sono est incroyable, le DJ nous fait voyager. C'est beau et délicat, l'atmosphère est presque spirituelle, on vient pas pour pécho, on vient par ce qu'on sait qu'il s'y passe quelque chose de spécial...  

          
                        "Love Save the Day".

 

 

 


 

 

Mancuso cherche a offrir a ses invites un espace festif ideal, libere des contraintes de la vie sociale, des replis communautaires, du monde tres "m'a-tu-vu" des premieres discotheques, et des rapports focalises sur la seduction et le sexe dans certains clubs gays. Inluence par le discours hedoniste et mystique du pape du LSD Timothy Leary, il veut recentrer l'experience sur la musique et la dance. Pour creer un environnement ou les inegalites economiques ont moins d'emprise il refuse de vendre quoi que ce soit, ni alcool ni drogues, il offre la nourriture, l'entree coute 2 $ et ca reste negociable, a partir du moment ou on a recu son carton d'invitation. 

 

Ne pas faire de publicite est fondamental pour epargner a son public l'arrivee massive de fetard.e.s trop decalle.e.s par rapport a l'esprit du lieu. Ca evite aussi de devoir faire une selection a l'entree, forcement discriminante. Les invite.e.s sont coopte.e.s par des habitue.e.s.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mancuso s'occupe aussi de la musique. Un melange de morceaux tres percussifs, Soul, Jazz, Funk principalement. C'est les debuts du Philly Sound, popularise par le duo de producteurs de Philadelphie Kenny Gamble et Leon Huff, avec leur label Philadelphia International Records et leur groupe MFSB (Mother Father Brother & Sister) qui va accoucher peu à peu du Disco. 

 

"Four to the floor", c'est la grosse caisse, frontale, qui mène la danse en marquant chaque temps. Une rythmique carrée agrementee de parties instrumentales enchevetrees, pour une Soul hypnotique, soutenue par une basse lourde syncopée, rescapée du Funk. Le Disco s'inscrit dans la continuite de l'histoire du Rythm and Blues noir americain. La recette rassemble et ensorcelle : une fois sur la piste on ne peut plus s'arrêter de danser. Les cuivres, les cordes et les voix chaudes apportent leurs couleurs. Ça vient du cœur et ça transpire l'amour.


 


 

 

 

                                                                            
En quelques annees, les  bases des dancefloors qu'on connait aujourd'hui vont apparaitre a New York, dans une serie de lieux festifs plus ou moins ephemeres. Les soirées dans les discothèques, jusque la ringuardes ou tres elitistes, deviennent plus populaires. Le Loft de Mancuso, avec sa population tres mixte, est un cas a part. Les premiers dancefloors sont souvent communautaires, des bars clandestins qui acceuillent une population queer pauvre, des clubs prives gay blancs un peu plus bourgeois dans la zone balneaire de Fire Island Pines, et quelques endroits ou noirs, blancs, gays et heteros se melangent mais avec une selection a l'entree plus exigante. Des restaurants ou une eglise qui se transforment tard dans la nuit en espaces dedies aux afters... 

Un groupe de DJs italo-americains s'impose comme les precurseurs du mouvement avec David Mancuso. Ils s'appelent Francis Grasso, Steve D'Acquisto, Michael Cappello, Bobby Guttadaro, Nicky Siano... Ils trouvent sans doute plus facilement du travail que d'autres dans ces lieux souvent controles par la Mafia. Certains commencent a flairer un bon filon, et on voit  apparaitre des clubs plus commerciaux ou se pressent les stars du moment. La musique Disco a le vent en poupe, l'esprit underground originel s'essoufle, mais avant de mourir, il va tirer sa révérence au Paradise Garage, entre 1977 et 1987. Le club disco ultime. Une ambiance immersive intense, une sono énorme, un maître de cérémonie excentrique et un peu félé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelques annees plus tard, a Chicago et a Detroit, de jeunes artistes inluences par l'univers disco new yorkais créent la House Music. On boucle, on sample, on bidouille avec les premiers synthétiseurs bon marché et on ravive la flamme, en lui donnant un côté plus artisanal et futuriste. On va plus loin dans le minimalisme et on arrive à la Techno, qui va donner un nouveau souffle et ouvrir un vaste territoire à la culture des sounds systems. L' underground résiste, s'organise, et va faire des petits.
 

 


 

 

 

 

 

La suite de cette histoire est autant musicale que sociale et politique. Les origines noires et queers du mouvement sont malheureusement souvent ignorées. Et c'est bien sûr toujours dans les marges peu visibles que la créativité émerge. Quelques zones de résistance au rouleau compresseur capitaliste subsistent. Et le monde ne va pas tellement mieux.

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The Loft

MFSB

The Paradise Garage

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The Sanctuary

Pour creuser un peu..

Sur le "phillysound", précurseur du disco :

* une présentation du groupe MFSB de Philadephie, et un article de Nate Patrin qui s'attarde sur l'évolution de leur son vers le minimalisme rythmique hypnotique qui a influencé toute la dance music, et son arrivée à New York.

 

 

Sur l'émergence de la scène club disco de New York dans les années 70 :

* une interview de David Mancuso, créateur du club privé The Loft en 1970

* une interview de Tony Smith, qui nous parle de ses premiers mixs dans les rues du Lower East Side, des clubs gay comme le Limelight où le public voulait entendre des vrais mixs calés au tempo et plus simplement un enchainement de morceaux, des DJs David Rodriguez, Richie Kaczor, et Walter Gibbons...

* une interview de Danny Krivit, sur l'ambiance particulière du Loft, Nicky Siano et le club Gallery,  Larry Levan au Paradise Garage, et son travail de remixeur.

* une interview François Kevorkian, qui nous parle de ses débuts en tant que batteur dans un club, de Walter Gibbons, du Loft,  du Studio 54, du Paradise Garage, des différences entre les styles des DJ de l'époque et les ambiances des clubs... puis sa transition vers la production musicale avec ses fameux remixs, l'arrivée de la House, et les soirées Body & Soul.

Interviews menées par Bill Brewster et Frank Broughton.

 

 

Le bouquin de Tim Lawrence Love Save the Day 
                                            Fetes underground, disco et dance music aux Etats-Unis

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